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vendredi 9 janvier 2015

Charlie Hebdo : passez-moi l'expression...

... mais merde alors.

Je me rappelle, plus jeune, le Charlie Hebdo posé sur la table. Plus tard aussi, au lycée, quand le journal accompagnait mes élans militants en faisant signer des pétitions pour la dissolution du Front National. Je me rappelle des dessins de Cabu dans le club Dorothée, et les histoires du Grand Duduche. Et puis le Fluide Glacial, ce proche cousin, dont une pile trônait toujours à la maison. J'ai grandi dans cette ambiance là, cette atmosphère gauchisante post soixante-huitarde, un poil anarchiste, où la déconnade est facile et où on a l'impression que tout est permis puisque, n'est-ce pas, "il est interdit d'interdire".

Wolinski et Cabu
Wolinski. C'était des dessins "pour les grands" - qui me fascinaient donc puisque j'étais petit - et que je zieutais à la dérobée. Quelque part, je les ai toujours vu comme des copains à moi, ces dessinateurs là. Ben oui, des copains. Des gens qui, en d'autres circonstances, par un simple hasard de rencontres, auraient pu se retrouver dans le salon de notre petite maison en Auvergne.


J'ai depuis pris beaucoup de recul vis-à-vis des publications de Charlie Hebdo. Devenu chrétien, c'est vrai, ses "unes" provocatrices ne me faisaient plus rire du tout si bien que j'ai arrêté d'acheter le journal. Parce qu'il m'attristait. Non pas d'ailleurs parce que certains dessins étaient absolument abjects et détestables avec les croyants en général et avec le Christ qui m'a sauvé en particulier. Il en a vu d'autres, le pauvre, et contrairement aux dieux misérables des terroristes, Celui en qui j'ai placé ma confiance est assez grand pour se défendre lui-même. Non, ces unes m'attristaient parce qu'elles étaient l'éclatante preuve que leurs auteurs étaient à mille lieues de saisir, de percevoir, ce que la foi en Christ a de merveilleux, de transformateur, de vivifiant. Et ça, c'est infiniment triste. Les "unes" de Charlie, pour moi, c'était un peu comme un pote qui te crache à la gueule parce qu'il comprend de travers ce que tu lui racontes. Ça ne met pas en colère, ça. Ça attriste, c'est tout.

Le Grand Duduche
Ça attriste aussi parce que je sais que ces dessinateurs là, c'était pas des affreux. Bien sûr, il vous reviendra en tête quelques-uns de ces dessins qui soulèvent le cœur de tout croyant, mais je le répète : c'était pas des affreux. D'eux, je peux dire sans sourciller, à l'instar du Christ au sujet de ceux qui le crucifiaient, qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Des ignorants de la foi, voilà ce que je crois qu'ils étaient. À cela il faut encore ajouter les menaces qu'ils n'ont pas manqué de recevoir de la part des intégristes de tout poil : vous avez alors les ingrédients qui entouraient leurs planches à dessin au moment de faire les "unes" que l'on sait. Reconnaissons que la journée d'hier leur donne un peu raison, tout de même. Cons ou pas cons, chez Charlie ils ont trouvés plus cons qu'eux et rien que ça, ça me les rend encore plus sympathiques - par contraste, peut-être.

Donc hier, j'ai chialé comme un gamin. J'ai passé toute l'après-midi d'hier avec une gueule de bois pas croyable. J'ai peu dormi, et c'était pas à cause de mes jumeaux qui sont nés il y a 8 jours. Je suis resté sonné, d'abord parce qu'il y en moi ce sentiment diffus que ces gens qui se sont fait descendre comme des lapins, je l'ai déjà dit, étaient des copains. Ce genre de type que "vous connaissez" sans les avoir jamais rencontré, parce qu'ils font partie d'un monde que vous connaissez ou avez connu. Et je suis stupéfait, vraiment, qu'on ait pu s'en prendre à eux, aussi cons, maladroits, vulgaires ou même insultants qu'ils aient pu être. Ces mêmes gars qui ont traversés mai 68 la fleur au fusil aujourd'hui se font abattre... pour des dessins ! Le monde a changé, on le savait déjà. Aujourd'hui on sait que ça n'est pas en mieux.

Des "Charlie", il y en a partout...
Ensuite, je suis resté sonné parce le terrorisme s'est brutalement rapproché de ma porte. Et ça c'est assez nouveau pour moi. Si des types comme eux se font descendre pour leurs idées, il est plus qu'évident que je peux me faire descendre pour les miennes. Parce que quelque part, moi aussi "je suis Charlie" (bien que je me méfie comme de la peste des mouvements naissant d'une émotion collective), mais aussi parce que je suis chrétien - pasteur de surcroît - je sais maintenant qu'il y a des gens ici, sur le sol français, qui seraient tout à fait satisfait de me voir avec une balle dans le crâne. Non pas parce que je suis un fieffé salaud, hein, mais parce que j'ai les idées claires et que ce ne sont pas les leurs. Alors quoi ? Faut-il se préparer à mourir ? Quelque chose me dit qu'il n'est pas complètement inutile d'y songer un peu, hélas. Juste pour si l'occasion nous est donnée un jour d'avoir à choisir, nous aussi, entre "mourir debout" et "vivre à genoux".

Et la foi dans tout ça ?
Et bien la foi, elle me rappelle en premier lieu que Jésus, lumière étincelante venue au creux des ténèbres, a été crucifié. Alors si l'Amour qui s'est présenté aux hommes a fini cloué sur une croix, il ne faut sans doute pas s'étonner à l'excès de voir notre pauvre et imparfait amour humain bafoué, martyrisé, malmené.
La foi me rappelle, ensuite, qu'il y a des cœurs infiniment nécessiteux de l'Évangile. Qu'on m'accuse de prosélytisme : je m'en bats l’œil. Que ceux qui pensent avoir mieux à proposer que la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ à ces jeunes déboussolés aillent à leur rencontre. En attendant il y a des obscurantistes de la pire espèce au service de la haine, du mépris de l'autre et de la vie humaine qui recrutent à tour de bras et franchement, je préfère avoir ces jeunes sur les bancs de mon église qu'en partance pour la Syrie - j'espère que vous aussi.
Finalement, la foi me rappelle aussi que l'amour, s'il a été crucifié, est également ressuscité. La vie est sans cesse gagnante d'une manière ou d'une autre. Ces terroristes qui peuvent anéantir le corps ne peuvent rien contre l'âme, et si la Bible nous parle des heures sombres qui s'abattront sur nous à la fin des temps elle parle aussi du retour glorieux du Christ et de son règne de paix. C'est ma foi et mon espérance, et je ne vous souhaite qu'une chose : que ce soient les vôtres aussi.

9 commentaires:

  1. Merci pour ce bel article Laurent. J'ai également songé que nous chrétiens, ne sommes pas loin de la persécution physique comme cela a lieu dans de nombreux autres pays. Et je ne peux m'empêcher de me demander comment je réagirais si l'on me menaçait de me tuer si je ne renie pas Jésus. Si deux hommes sont capables d'entrer dans un journal, bien qu'ils soient "gardés" par des policiers, pour tuer "froidement" des hommes à cause de leurs dessins, alors oh combien cela deviendra facile d'entrer dans une église et de tirer sur tous ceux et toutes celles qui s'y réunissent pour louer Jésus-Christ. Je prie malgré tout pour ces hommes qui, selon eux, combattent pour Dieu. Je crois qu'ils le font sincèrement tout comme le faisait Saul, avant de rencontrer Jésus. Je prie qu'ils rencontrent Jésus parce qu'ils ne méritent pas, comme tout Homme, le pardon de Dieu. Pourtant, Dieu désire également le leur offrir. Quelle tragédie mais quelle possibilité aussi de réfléchir à tout ce que cet acte veut nous dire. Profitons de notre liberté actuelle pour annoncer l'Evangile dans notre pays tant que nous le pouvons sans trop de risques. Et continuons de remercier le Seigneur pour la "paix" qui demeure chez nous depuis de nombreuses années. Merci pour la fin de ton article qui nous ramène à l'essentiel: Jésus reviendra glorieux; Il viendra chercher les siens et nous vivrons éternellement auprès de Lui. Quel espérance !

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  2. Merci, cher anonyme, pour ton commentaire. C'est juste, bien sûr : il faut prier pour eux. Pour le reste, je ne sais pas encore quelle suite il faudra donner à tout cela. Une partie de moi ne veut pas se laisser dicter sa conduite par des terroristes et souhaite donc poursuivre sa petite vie sans se laisser perturber. Mais l'autre partie de moi veut réagir. En particulier - et de façon toute personnelle - je réfléchis beaucoup à tout ce qui autour de moi prétend me dicter ce que je dois penser et ce que je ne dois pas penser. J'ai un seul Seigneur et un seul maître, Jésus-Christ. C'est devant lui que je veux parler en conscience sans me soucier de toutes celles et tous ceux qui prétendraient prendre sa place sous prétexte que, par exemple, "un chrétien ne doit pas penser que...".
    Je fais partie d'une communauté. Je n'en ai pas honte. J'aime l'église et je ne veux pas la heurter inutilement. Mais dans le même temps, je vois que je m'autocensure bien des fois avec les meilleures intentions du monde : celles de ne pas choquer mes frères et sœurs en Christ, par amour pour eux. Cet article sur Charlie Hebdo est un exemple. Il n'est pas si évident de l'écrire parce que - je l'ai entendu - il est parait-il suspect d'être à la fois chrétien et supporter de ce journal qui a salit bien des fois le Christ. Et bien je vois là un petit terrorisme intellectuel auquel je ne veux plus me soumettre, précisément par amour pour mes frères. Et ça je le dois sans nul doute à cette tragédie, mais je le dois surtout et en premier lieu au Christ, qui m'a rendu libre.

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  3. Il y aurait des choses à dire et à redire, par rapport à ce que vous écrivez, mais je crois qu'il y a des moments où il vaut mieux se taire et attendre que l'émotion ne submerge plus les esprits. Je suis un charlot, sans doute.

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    1. Vous avez probablement raison. J'ai fait le choix de laisser parler l'émotion, et on n'est pas toujours très juste quand on fait ce choix là. Par exemple, je ne crois pas avoir été tout à fait juste avec l'église dans mon commentaire précédent. J'ai pris l'exemple de l'église parce que c'était le plus frais dans ma tête. Il y a quelques mois j'aurais sans doute parlé de la pression exercée, en les taxant d'homophobes, sur ceux qui émettaient des réserves au sujet du mariage pour tous. Mais là encore, ce n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres !

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  4. Merci beaucoup pour cet article! :)

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  5. Dominique Lambert10 janvier 2015 à 19:17

    Merci pour ce message pasteur! Je suis complètement en accord avec vous sur la pensée!

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  6. Merci beaucoup pour vos mots qui completent les miens. J'ai du mal d'ailleurs à mettre des mots. Profondement attristée par ces pertes, je le suis d'autant plus par la récupération émotionnelle qui est en train de se faire. Par la joie ressentie quand les terroristes ont perdu la vie. Tout ceci m'écoeure. Mais malgré tout je garde la foi. Il le faut bien. C'est d'autant plus nécessaire en de pareilles périodes.
    Je suis ravie de l'existence de votre blog. Il faut "moderniser" l'Annonce. Toucher de nouvelles personnes. Sortir de nos Temples et de nos certitudes.
    Et puis étant maman de petits jumeaux, je vous souhaite beaucoup de bonheur et de joie. Ils sont l'espoir, ils sont l'avenir de ce monde.

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