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vendredi 10 mai 2013

Réforme protestante : la raison de la colère

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Allemagne, début du XVIème siècle. Trois hommes se réunissent dans une taverne.

- J’ai vu le curé, dit l’un d’eux avant de marquer une courte pause. Il m’a dit que mes péchés sont énormes. Que j'irai en enfer si je ne fais rien.

Son regard est sombre. L’homme est inquiet mais, soudain, son visage s’illumine.

- Heureusement, il y a une solution ! Le curé m’a dit que si je donnais de l’argent pour financer la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome, mes péchés seraient pardonnés ! Le pape appelle ça une indulgence.


Ses deux amis le regardent. L’un d’eux plonge soudain les yeux dans sa bière. Il en boit une gorgée et, sans lever le visage, soupire :

- Bah ! Toi au moins tu peux encore aller au Paradis. Ma femme est morte le mois dernier. L’église, on s'en battait un peu l'oeil, Louise et moi. N’empêche que maintenant j'me demande bien où qu'elle est.
- T’inquiètes pas, lui souffle l'autre. Elle était bien gentille, ta femme : c’est sûr qu’elle est pas en enfer. Moi je sais où elle est. Elle est au purgatoire !
- Au quoi ?
- Le purgatoire, Jacques ! C’est l’endroit où vont les âmes des défunts en attendant d’être suffisamment pures pour entrer au Paradis. Elles y souffrent quelques temps, et quand elles ont suffisamment payées pour leurs péchés, allez hop ! Au Paradis !
- Ah ? s’étonne l’homme. Et elle va y souffrir longtemps, dans ton purgatoire, l’âme de ma femme ?
- Qu’est-ce que j’en sais, moi. Ça dépend du nombre de péchés qu’elle a à payer. Mais de toute façon, ça n’a pas d’importance : tu sais bien que si tu veux, elle peut en sortir à l’instant même, du purgatoire. Ça ne dépend que de toi, comme l’a dit le moine Tetzel.
- Qui ça ?
Johann Tetzel (Wikipedia)
- Jean Tetzel, Jacques. Le moine ! Tu ferais bien de t’informer un peu. Il est venu le mois dernier. Ah, je me rappelle encore de sa voix tonitruante harranguant les foules : Prêtre ! Noble ! Marchand ! Femme ! Jeune fille ! Jeune homme ! criait-il. Entendez vos parents et vos proches qui sont morts et qui vous crient du fond de l'abîme : "Nous endurons un horrible martyre ! Une petite aumône nous délivrerait ; Vous pouvez la donner, et vous ne le voulez pas ! A l'instant même que la pièce de monnaie retentit au fond du coffre-fort, l'âme part du purgatoire et s'envole délivrée dans le ciel ! ». Alors tu vois, Jacques. Il ne tient qu'à toi de sortir ta femme des souffrances dans lesquelles elle se trouve !

Le troisième homme, qui jusqu’ici s’est tenu en silence, n'en peut plus. Il explose d'un coup, bondissant de sa chaise :

- Mais tais-toi donc, gredin ! Toi aussi tu ferais bien de t’informer : tu n’as pas entendu parler des 95 thèses que le moine Luther a clouées sur la porte de l’église de Wittenberg ? [1] Le purgatoire, les indulgences, tout ça c’est du vent ! Luther dit que le Salut est un cadeau de Dieu, une grâce ! Mon pauvre ami, il n’y a rien que tu puisses faire pour sauver ton âme. C’est Jésus-Christ qui l’a sauvée, ton âme ! Reçois ce cadeau par la foi si tu ne veux pas périr !

Le Salut : parce que nous sommes bons, ou parce que Dieu est bon ?

Représentation de l'enfer (Conques)
Diantre. Fichtre. En voilà un message décapant ! Dieu, ce grand Juge Accusateur qui envoie en enfer à tour de bras tous ceux qui ne s’alignent pas sur les enseignements de l’Église, serait finalement un Dieu qui fait des cadeaux aussi chouettes que la Vie éternelle, comme ça, pour rien ?

Depuis des siècles l'Église annonçait un Salut par les œuvres : si vous étiez un vrai brave type, si vous faisiez le bien autour de vous, si vous vous meurtrissiez le corps pour vous purifier de vos péchés et si vous vous meurtrissiez le porte-monnaie en faveur de l’Église, alors vous aviez de bonnes chances d’aller non pas au Paradis – seuls les Saints allaient au Paradis – mais au Purgatoire. Et après avoir souffert suffisamment (ou après que l’un de vos proches ait payé à l’Église une indulgence), alors vous arriviez enfin aux portes du Paradis.

L’Église médiévale inspirait d'autant plus la crainte que son pouvoir n’était pas seulement spirituel : il était également politique et militaire. L'Église dominait l'europe et les pauvres bougres qui ne s’alignaient pas sur la foi chrétienne (ou devrais-je dire la foi de l’église ?) avaient de bonnes chances d’être persécutés, voire exécutés, pour hérésie ou sorcellerie. C’était le saint travail de la Sainte Inquisition (vous aurez capté l'ironie, hein ?). A cela s’ajoutait la scandaleuse opulence, l’immoralité et la corruption du clergé qui ne manquaient pas de choquer la population.

Dans ce contexte, la Réforme redécouvre simplement que "c'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c'est un don de Dieu; ce n'est pas le fruit d'œuvres que vous auriez accomplies. Personne n'a donc de raison de se vanter." (Ephésiens 2:8-9).

Autrement dit, si la Réforme a eu lieu c’est en premier lieu parce qu’elle était, tout simplement, plus que nécessaire. Mais la raison de la Réforme n'est pas seulement historique, elle est aussi spirituelle. C'est le sujet que j'aborde dans le billet suivant, "Réforme protestante : et Dieu dans tout ça ?".


Un grand merci à David Perez, compagnon de séminaire et actuel pasteur stagiaire de l'église baptiste de Niort, pour m'avoir autorisé à piller allègrement l'étude préparée par ses soins sur l'histoire de la Réforme.

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[1] J'en parlerai dans un autre billet.

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