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mardi 20 août 2013

Bible et Tradition

Recevoir... pour transmettre !
Si ce mot te transporte vers de verdoyantes prairies où les z'oiseaux pioupioutent, tu es probablement catholique. Sueurs froides, palpitations ? Ami protestant, tranquillise toi, prend un mouchoir et essuies-toi le front : "Tradition" c'est pas un gros mot, même pour toi. Il est dans la Bible, l'honneur est donc sauf : 
Je vous félicite de vous souvenir de moi en toute occasion et de maintenir fidèlement les traditions que je vous ai transmises - 1 Cor. 11:2
Dans la bouche de Paul, rien que ça. Un peu plus loin, il parle aussi de la tradition qu'il a reçue du Seigneur et qu'il a transmise aux Corinthiens (1 Cor. 11:23). C'est déjà pas mal, mais il y a plus : à ces passages là on peut en toute rigueur en ajouter quelques autres, même si certaines traductions ne laissent pas apparaître le mot "tradition" mais lui préfèrent enseignement. Par exemple, ici :
Demeurez donc fermes, frères, et attachez-vous aux enseignements que nous vous avons transmis, soit de vive voix, soit par nos lettres. - 2 Tes. 2:15
"Enseignements", "traditions" ? Choisissez ce que vous voulez, c'est le même mot en grec. Pourquoi on ne le traduit pas toujours par le même mot, alors ?
Et bien parce que le but du traducteur n'est pas tant de coller au texte que de coller à la pensée de l'auteur. Or, un mot peut avoir plusieurs sens. Il faut donc faire des choix.

C'est terriblement subjectif, me direz-vous. Allons bon, comme vous y allez !

"Terriblement" c'est un poil exagéré mais c'est vrai, traduire implique un travail d'interprétation et il est possible de se planter. Il y a d'ailleurs un proverbe qui dit que "traduire, c'est trahir" ! Voilà pourquoi c'est tellement intéressant d'étudier les langues originales : on fait sauter les intermédiaires.

La tradition : un enseignement à transmettre

Heureusement, dans le cas qui nous occupe mon copain Wikipédia réconcilie tout le monde. Selon lui, tradition vient du latin traditio, tradere, de trans « à travers » et dare « donner », « faire passer à un autre, remettre »)." Quant à l'enseignement , c'est "une pratique mise en œuvre par un enseignant visant à transmettre des connaissances". Bref, dans les deux cas il s'agit de transmettre ce que l'on a reçu. C'est ce mouvement là qui amène Luc, par exemple, à écrire son évangile :
Plusieurs personnes ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont passés parmi nous, d'après les rapports de ceux qui en ont été les témoins oculaires depuis le début et qui sont devenus des serviteurs de la Parole de Dieu. J'ai donc décidé à mon tour de m'informer soigneusement sur tout ce qui est arrivé depuis le commencement, et de te l'exposer par écrit de manière suivie, très honorable Théophile; ainsi, tu pourras reconnaître l'entière véracité des enseignements que tu as reçus - Luc 1:1-4
Les auteurs du Nouveau Testament ont mit par écrit ce qui jusqu'alors se transmettait oralement : Jésus n'a rien écrit lui-même, et seuls deux des douze apôtres ont pris la plume (Matthieu et Jean). En revanche, les douze ont prêché tous azimuts ! Ils ont rendu témoignage de ce qu'ils avaient vu, vécu et entendu de la bouche même de Jésus. Puis est arrivé Paul, le petit dernier : bien qu'il n'ait pas fait partie des douze - trop occupé qu'il était à persécuter les chrétiens - le Christ ressuscité s'est révélé à lui, l'a appelé à un ministère d'évangélisation parmi les non juifs et l'a institué apôtre.

La source d'eau vive, Jésus-Christ, a voulu utiliser ses apôtres comme vecteurs de transmission de la bonne nouvelle de l'Évangile : tous les écrits du Nouveau Testament se trouvent d'une façon ou d'une autre couverts par l'autorité apostolique. Ces écrits, au nombre de 27, constituent ce qu'on appelle le canon du Nouveau Testament. Et le canon étant fermé, on peut dire que la tradition orale a été "scellée dans le marbre" : ces écrits sont ceux qui ont été reconnus divinement inspirés par l'Église primitive, guidée par le Saint-Esprit. Il n'y en a pas d'autres et il n'en manque aucun : pour les protestants il ne saurait y avoir d'autre source d'autorité. Ils constituent donc le contenu, pourrait-on dire, d'une tradition non seulement authentiquement biblique, mais qu'en plus nous avons le devoir de transmettre. Cette tradition là se confond avec les Écritures. 

Culte à la vierge,  vénération des saints et interprétation des Écritures

Le Pape Benoit XV
À ce stade, c'est le protestant qui se retrouve transporté vers les prairies verdoyantes et le catholique qui pique des sueurs froides. Eh, oui : si l'église catholique reconnaît évidemment l'autorité des Écritures, elle n'a pas "scellé dans le marbre" la tradition orale. Du coup, pour elle l'autorité en matière de foi repose sur les Écritures et sur la Tradition (avec un "t" majuscule cette fois). Dans l'église catholique les Écritures et la Tradition ne se confondent pas, et cela explique bien des choses incompréhensibles pour le protestant : entre autres (et par exemple), le culte à la vierge Marie et la vénération des saints.

La Tradition dans l'église catholique donne également le "la" en matière d'interprétation des Écritures, raison pour laquelle la lecture de la Bible est longtemps restée inaccessible au peuple : lire la Bible indépendamment de l'Église c'était s'exposer à une interprétation erronée, voire hérétique, des Écritures. Mieux valait donc simplement s'en remettre aux homélies du prêtre.

Est-ce un raisonnement complètement absurde ?
Que nenni. C'est parfaitement vrai que si on plonge le nez tout seul dans les Écritures, il y a de bonnes chances pour qu'on en vienne à affirmer - au bas mot - des absurdités. Et à les croire, qui plus est. Ce n'est pas pour rien que les Pères de l'Église et de grands théologiens après eux se sont cassé la tête à essayer de nous éclairer de leur lanterne. Alors disons qu'il ne faut pas tout jeter, mais plutôt reconnaître qu'il y a une échelle en matière d'autorité au sommet de laquelle se trouve l'enseignement apostolique contenu dans le Nouveau Testament. Plusieurs échelons en dessous, nous trouverions je pense le Symbole des apôtres. Plus bas, les écrits des Pères de l'Église. Plus bas encore, les grands théologiens... et si vous descendez tout en bas, au ras des pâquerettes, devinez qui vous trouvez ?

Et bien oui, vous êtes là, juste à côté de moi. Et cette Bible, placée si haut sur l'échelle, est descendue sur nos genoux. Il faut la lire, bien sûr. Mais si notre interprétation ne trouve d'écho nulle part sur les différents échelons, méfiance... quelqu'un a dit un jour que ce qui orthodoxe n'est pas nouveau, et ce qui est nouveau n'est pas orthodoxe. Une belle devise pour éviter de s'égarer trop loin.

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Source photos : Flikr (The commons).
"A man reading a book". Photograph by: Einar Erici (1930).
"Pope Benedict XV" (between ca. 1910 and ca. 1915).

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